Morgue, fée de cour ? La féerie courtoise dans le Livre des Visions d'Oger le Dannoys au royaulme de Fairie de François Habert (2024)

1 L’opposition fondatrice proposée par L. Harf-Lancner, des figures morganienne et mélusinienne a montré que, à l’origine, les fées ne se mêlent pasnaturellement au monde des humains [1]. D’ordre matrimonial, les unionsentre mortels et êtres surnaturels sont toujours vouées à l’échec, du fait deleur disparité ontologique. Cependant, par un mouvement d’assimilationréciproque, le monde de la féerie et celui de la cour (et de la courtoisie [2])semblent se confondre à la fin du Moyen Âge. Ainsi, la cour de Morgue,censée être une fée malveillante, apparaît comme le reflet quasi parfait de lasociété courtoise, où règnent paix, joie et amour [3]. Le phénomène tient à deuxfaits d’écriture: d’une part, une ritualisation, produit d’un récit spectaculairequi intègre la féerie à un cérémonial collectif, orchestré dans le réel, commedans la fiction; d’autre part, une «rationalisation», qui intègre les figures dela féerie, soit en les rendant exemplaires (comme modèles de relations courtoises), soit en les rapportant à des valeurs allégoriques (figure de Fortune).

2 On se propose d’étudier les effets de ces deux processus dans le Livre desVisions d’Oger le Dannoys au royaulme de Fairie. Cette variation en vers sur lalégende d’Ogier, imprimée en1542et due à François Habert [4], poète de ladernière génération des grands rhétoriqueurs, met en scène les noces d’Ogieret de Morgane et les prouesses de leur fils dans l’île d’Avalon.

3 On s’efforcera de montrer que le mélange des traits réalistes et desmarques de la merveille y forme une synthèse qui donne corps, à traversl’image de Morgue, au fantasme d’une féerie courtoise. Car cette écriture,qui pourrait être celle de la varietas, courante à l’époque humaniste, semblepeiner à atteindre une réelle unité. Comment, en effet, l’écriture habertiennepeut-elle faire de Morgue, fée vindicative, luxurieuse et déloyale des romansarthuriens (à partir du XIIIe siècle) une incarnation des valeurs courtoises?

4 On se posera cette question en analysant les deux premiers livres desVisions. Car Habert, ciblant sa matière, y reprend l’épisode en Faerie d’unemise en prose de la version en alexandrins d’Ogier le Danois[5]. L’ouvrage,composé de décasyllabes à rimes plates, se divise en trois livres dans lesquels la synthèse n’a pas le même sens et la même étendue. De fait, elle estla plus convaincante dans le Livre I qui mélange rituel social courtois ettopique féerique.

5 Champion du roi Charlemagne, Ogier desja venu à la blanche vieillesse, regagnela France après l’assaut babilonicque, lorsque Fortune, qui lui réserve un autredestin, intervient: Ainsi qu’on dict Fortune l’appella / A plus grand heur, & lenous revela. En réalité, l’heure est venue pour Ogier de quitter la cour deCharlemagne pour celle de la fée Morgue. Attirée par la pierre d’aimant,la nef du Danois arrive en Avalon. Habert use du topos de la navigationmerveilleuse qu’il justifie par l’intervention de Fortune et par la vertu de lamagnétite, deux entités derrière lesquelles se cache Morgue, bien qu’absenteà l’arrivée d’Ogier. En effet, dans le Roland Amoureux[6]de Boiardo, la fée estexplicitement assimilée à la Fortune et l’aimant (métaphore de l’île d’Avalon) se présente comme une invention magique de Morgue pour attirerOgier dans son royaume. Déjà mentionnée par Pline, la pierre d’aimant estconsidérée comme une merveille naturelle employée dans les architecturesimaginaires médiévales. Ainsi, dans le Roman d’Éneas[7](vers1155-1160),l’auteur plaçait de telles pierres sur les murs de Carthage, qui attiraient tousles hommes armés. Éprise du chevalier, Morgue vient le réconforter:

6

Ja des long temps de son amour attaincte, / Morgue la belle, en ce lieu la maistresse/ Ou il n’y a que soulas & lyesse / Droict en ce lieu soubdain se transporta, / Oudoulcement Oger reconforta / En luy disant, amy cesse les larmes (p. b)

7 Car le Danois, qui croit sa dernière heure arrivée, se lance dans un discoursà la Fortune, perpétuant la tradition celtique qui présente Avalon comme unlieu dont on ne revient pas, comme l’île des morts: Puis que fortune en ce lieume poursuyt / O dieu puissant, je voys appertement / Qu’il me faudra succumberau torment / De triste mort (p. aiij).

8 Bien que désignée par une périphrase positive, Morgue la belle, la fée afficheun caractère ambigu [8]. Se présentant comme maîtresse d’Avalon et sœur duroi Arthur, sa face sombre de fée ravisseuse transparaît dans son discoursmettant en lumière ses dons de prophétesse:

9

Or long temps a que le cours des planettes / M’avoit bien faict ces choses manifestes, / Et que vaincus Sarrazins ennemys, / En ce lieu cy captif tu seroy mis /Par la vertu de l’Aymant qui attire / (Sans resister à ce) mainte navire, / Donteviter tu ne peulx le danger / Si tu ne veulx à mon amour renger. (p. b)

10 C’est l’amour ou la mort. Le rapt d’Ogier renvoie à la Morgue maléfique duLancelot en prose[9], qui enlève à trois reprises Lancelot et tient enfermés lesmauvais amants dans le Val sans retour. Cependant, cette Morgue malfaisante s’affirmait comme l’ennemie des valeurs de la fin’amor, tandis qu’Habert qui remanie ses sources en fait une fée courtoise pour laquelle l’amourest la première vertu. Ainsi, elle offre à Ogier un amour loyal et ferme quidevra être scellé par les liens du mariage [10]:

11

J’entends amour par mariage ferme, / Et qui deux cueurs en ung vouloir enferme,/ En ce faisant Roy tu seras, & Prince / Entierement de toute ma province / Enmon Chastel que la Mer environne / Mise sera sur ton chef la coronne (…) /Puis en usant vers toy d’ung cueur loyal / Veoir te feray de mon Chasteau royal/ Tous les conduictz, le passetemps, & l’estre (p. b-bij)

12 Elle impose à Ogier une épreuve symbolique avant qu’il ne pénètre au château: Car il convient avant que de t’esbatre / Dedans mon regne aux fiers luictonscombatre (p. bij). Logiquement, Morgue devrait régner sur ces êtres féeriques,mais Habert opère un mouvement de rationalisation [11]de la féerie, plaçantMorgue en grand terreur & doubte, pour justifier l’épreuve. Dans cette prisede la forteresse, on reconnaît la traditionnelle allégorie d’un interdit sexuel,d’autant que l’objet de la quête réside dans la possession de la dame. D’uncheur humain, la fée humanisée conduit alors Ogier à la première porte de sonChastel où le combat merveilleux s’engage sur le modèle courtois de la dameinspiratrice d’exploits:

13

Mort ce luicton, les aultres couraigeux / Font à Oger alarme dangereux: /Mais la beaulté de Morgue qui l’enflamme / Faict qu’il resiste au dangereulxalarme / Tant plus il voit que leur fureur s’anime / Tant plus est il puissant &magnanime (p. biij)

14 Ogier vainqueur, Morgue le mène par la main doulcement dedans Fairie qui seprésente comme le royaume de la fête et de la liesse, où les banquets somptueux sont égayés par la musique et le chant des fées [12].

15 Dans une scénographie imitant celle des fêtes de cour, et qui prouve qu’iln’y a pas de rupture entre le XVe et le XVIe siècle, Habert opère une «actualisation» de la féerie. La liste fort exhaustive des instruments dispensantune Musicque elegante & menue, crée un effet de réel, contrebalancé par laprésence d’un chœur de fées:

16

Flaiolz sonnoient, & melodieulx Cors, / Fleustes, Aulbois, respondoient auxaccords, / Tabours, Violons, Orgues, Lucs, Espinetes, Psalterions, Cornemusesdoulcettes, / Cornetz haultains, Regales amoureuses, / Harpes aussi doulces &savoureuses / Avec la voix doulce & organisee / De mainte Fée en ordre divisee(p. biij-c)

17 Le banquet accueillant Ogier dans ce royaume utopique est magnifique etla féerie celtique se mêle à la mythologie antique lorsque Ogier se délectede l’ambroisie laissée par Jupiter à Morgue:

18

Fors qu’il y eut apres la malvoisie / Force nectar, aussi de l’Ambrosie / Grandquantité que Juppiter ung jour, / Voulant un peu prendre la de sejour, / Avoitlaissé à Morgue pour avoir / De luy memoire & de son grand povoir (p. c)

19 Censée rendre immortel celui qui y goûte, l’ambroisie des dieux de l’Antiquité trouve bientôt son pendant féerique dans l’anneau d’immortalité qu’offreMorgue à Ogier et qui reprend le thème de la fontaine de Jouvence: Finy lepast, Morgue luy faict un don / Du bel anneau ayant ceste efficace / Que du porteurla vieillesse il efface (p. c). Voilà donc la blanche vieillesse d’Ogier convertie enjoyeuse jeunesse et le Danois rajeuni surpasse Pâris en beauté, par le biaisd’une comparaison mythologique: Si qu’a le voir Paris n’eust emporté / Le lozsur luy d’elegante beaulté (p. c). Morgue, pour s’assurer qu’il ne retournerapas en France, lui offre également une couronne d’oubli. Cet objet féerique,rationalisé par sa valeur symbolique qui est celle du pouvoir monarchique,renvoie à la nouvelle fonction d’Ogier, chevalier devenu roi.

20 Par ellipse, la cérémonie du mariage s’engage: Lors invita Chevalier à lafeste / De toute pars du regne de Fairie. Ogier revêt un vêtement de veloursbleu brodé d’or, confectionné par la fée. Le portrait de Morgue présente lestraditionnels éléments féeriques. Sa robe d’étoffe précieuse, arbore la couleurde la merveille: Elle exhorna son corps d’ung blanc Samis, et ses cheveux blondsdéliés l’opposent à l’idéal de beauté de la femme courtoise: Ses blonds cheveulx jusqu’en terre espandu / Maintz Chevaliers esbahys ont rendus (p. cij). Maisl’auteur crée immédiatement un effet de réel en plaçant un moustier en féerie,dans une volonté de christianisation de la fée et Morgue et Ogier prononçantleurs vœux sont présentés comme un couple exemplaire: Les deux amans parun loyal office / Ayans la foy l’ung à l’aultre jurée (p. ciij). On notera la grandesomptuosité des vêtements: les matières très variées, comme le velours etle damas, sont rebrodées d’or. Si un pareil faste relève de l’ordre du jeu etde l’esthétique, il vise également à surprendre et consiste en un rituel socialcensé renforcer la cohésion des classes dirigeantes. La noblesse se donneainsi en spectacle, exhibant sa valeur aux yeux du peuple.

21 Dans ce dessein s’ouvre un banquet sur le modèle de fêtes telles quecelles de Bayonne [13], où un tableau mettra en scène les fées Alcine, Morgane,Mélusine et Urgande. À une différence près cependant: dans notre texte,au royaume de Faerie, de véritables fées font le spectacle. On observe unegradation dans leurs interventions: elles apparaissent d’abord seules, puisaccompagnées. Toutes présentent des œuvres de leur composition, faisantl’éloge d’Ogier et permettant de passer en revue les différentes formes poétiques. La première fée, accompagnée d’un luth, chante la geste d’Ogier; laseconde a une voix si douce, qu’elle surpasse celle des Sirènes. Si le chant dePresine [14], la mère de Mélusine, faisait déjà l’objet d’une telle comparaison,le Livre du Cuer d’Amours Espris[15](1457) met également en scène un couplede sirènes qui chante. Il pourrait alors s’agir, sinon d’un topos, d’un empruntà René d’Anjou qui témoignerait de l’intégration courtoisie/féerie. La troisième fée récite un dizain par elle composé, faisant l’éloge d’Ogier, la fleurde noblesse qui protégera son peuple des attaques de Fortune. Enfin, la quatrième fée a mis en chant un dit moralisé sur lequel dansent ses compagnes.

22 Durant le banquet, des propos d’amour sont tenus, entraînant une moralisation de Morgue qui rejette Venus et Cupidon:

23

En ce convy plusieurs propos tenus / Furent d’amours, mais non pas de Venus,/ Car Morgue avoit le cueur net & pudicque, / Voulant tousjours à Cupido lapicque. (p. d)

24 Censée être luxurieuse et malfaisante, la fée nous est présentée ici avecle cueur net & pudicque. L’amour courtois est donc au centre de la relationMorgue/ Ogier:

25

Ce qui faisoit la belle consentir / Au jeu d’amours, & chaste feu sentir. / De son
costé le Chevalier aussi / Pour Morgue avoit un amoureux soucy (p. d)

26 même si l’oxymorique chaste feu qui consume la fée semble révéler sa vraienature parfaitement anti-courtoise de fée séductrice.

27 Après le repas, Ogier contemple les murs du palais. Reprenant le motif dela chambre aux images, l’ekphrasis s’ouvre sur les héros de la Table Ronde,Lancelot, Guenièvre, Artus, et surtout sur la dame d’Ascalot, renvoyant directement à La Mort le roi Artu[16]où Morgue déclenchait la chute du mondearthurien, en montrant au roi les fresques peintes par Lancelot et contantses amours avec la reine. Sur d’autres murs, on peut voir les faits d’Ysaïe [17],de Tristan, d’Hector, d’Ajax, d’Achille, des Romains et d’Hannibal, Habertmélangeant Table Ronde, mythologie grecque et romaine. Cette configuration s’apparente grandement aux quatre galeries du palais enchanté de lafée Phébosille, dans le Roland amoureux de Boiardo, motif repris par JeanneFlore dans ses Contes amoureux[18], au conte VI.

28 Reprenons avec quelques détails le texte: le mariage se clôt sur le traditionnel tournoi qui crée un effet de réel et renoue avec le cérémonial de lacour (même si Ogier est doté d’un harnois et d’un cheval extraordinaires [19])et sur la nuit d’amour de Morgue et Ogier. Le mariage est consommé et lesamants apaisent leur desir amoureux en recevant le plaisir savoureux, reprenantle modèle de la nuit d’amour du Bel Inconnu et de la Pucelle aux BlanchesMains [20], ou encore de Roger et Alcine dans le Roland furieux[21]de l’Arioste.

29 Au matin, une nouvelle épreuve attend le roi Ogier qui découvre sondomaine. Morgue lui annonce maintes étranges aventures sur cette terre,dont seul le meilleur chevalier saura venir à bout. Voilà donc le Danois s’enfonçant dans les entrailles de la terre (sorte de regressus ad uterum, selon unscénario initiatique) pour combattre vingt-deux géants terribles & hydeulx,qui se jettent sur lui armez de fors harnoys, de dards & de massues pour rendreses espaules bossues. Renouant avec le registre épique, la bataille redoublecelle menée contre les luitons et présente la même valeur allégorique, rappelant certains épisodes du Roman de la Rose[22]: non seulement l’assaut de laforteresse de Jalousie, mais également l’entrée dans le verger de Déduit quis’apparente au paradis terrestre.

30 Car cette descente aux enfers: si que ce lieu d’obscurité sembloit / Estre ungenfer (p. diij) permettra vraisemblablement au héros d’atteindre le paradis,et une fois les géants exterminés, Ogier dresse son œil dessus ung beau jardin, /Environné du fleuve de Jourdain (p. e). La présence de ce fleuve biblique dansles eaux duquel fut baptisé le Christ, renforce cette hypothèse. Le jardin estclos de cristal et la porte d’un precieux metal, par deux serpens songneusem*ntgardée. Ogier, amant courtois par excellence, qui voit ses forces décupléeslorsqu’il pense à sa dame (Puis la beaulté de Morgue son amye, / Sa force renden ce non endormye) vainc les serpents et entre au jardin d’immortelle plaisance(p. e). La conquête du jardin, qui marque l’entrée dans le royaume de féerie, renvoie alors au modèle italien de Boiardo et des jardins de Falerine.Dans cet Éden, Ogier retrouve Morgue qui l’attend pour lui apprendre Quec’estoit luy qui estoit Empereur / De ce pays, & le vray conqueteur (p. e). Ogier adonc acquis ses terres par sa prouesse et non par son union avec la fée. Pourrécompenser Ogier, Morgue prend alors au jardin, ung fruict tant ennobly /Que tous travaulx il mectoit en oubly. On observe, au travers de ce fruit qui ala même vertu que la couronne d’oubli, une variation sur le thème du fruitdéfendu. Car Habert mêle habilement les hypotextes. Ainsi, on reconnaît nonseulement une inversion du motif tel qu’il apparaît dans le roman en proseoù Ogier goûtant une pomme ressent une grande faiblesse dont Morgue letire grâce à l’anneau de jeunesse [23]. Mais on se rappelle également qu’Avalonest considérée comme l’île des Pommes [24], et que Pâris, auquel était précédemment comparé Ogier, décerna une pomme comme prix de beauté à ladéesse Aphrodite.

31 Le mariage d’Ogier avec Morgue se déroule donc en trois temps. Unegradation mène notre héros à l’ultime étape de la conquête du jardin. Cejardin trop séduisant où règne la fée, constitue alors un élément nécessairedu parcours féerique et allégorique, et demeure associé au fantasme d’unmonde où tout n’est que «luxe, calme et volupté [25]».

32 Au temps initiatique du premier livre, dans lequel Ogier doit gagner sonmariage et le droit de régner, succède le temps du pouvoir, marqué parune christianisation de la loi du royaume de féerie et des discours morauxsur Amour et Fortune. C’est ainsi que, peu à peu, le rôle du merveilleuxs’affaiblit.

33 Le Livre II s’ouvre sur le bonheur conjugal d’Ogier qui joue soubz les cortines / Avec s’amye, annonçant la naissance d’Hector (et non pas Meurvin [27]comme dans le roman en prose) au Livre III. Néanmoins, le héros n’oubliepas ses devoirs de chevalier et de souverain et veille à ne pas sombrerdans la recreantise, comme Érec chez Chrétien de Troyes. Ogier, qui jamaisoysif en ce lieu n’a esté, continue à pratiquer les armes: jouxtes, tornoys, lucte,escrime et édicte une loi aux peuples devant lui assemblez, à laquelle tousdevront obéir: Car je commande & veulx que desormais, / Ce mien edict gardésoit à jamais (p. eiij). Champion de la foi, Ogier (par un étonnant paradoxe)instaure une loi chrétienne au royaume de Faerie. Il prône entente, secours,foi en Jésus-Christ, abandon des trésors particuliers, abolition de l’hérésieet de l’hypocrisie, souhaitant que tous vivent d’une mesme franchise, / Soubzune loy, soubz un bien, soubz un prince, dans une communaulté, / Representantchrestienne privaulté (p. eiij). L’harmonie du royaume de Faerie devient ainsila figure de l’harmonie d’une communauté de bons chrétiens.

34 Mais ce n’est pas tout, Ogier qui souhaite que ses peuples soient lesImitateurs des bellicqueurs de Rome rend également obligatoire l’exercice desarmes, la pratique des livres et la fréquentation des muses. Cette hiérarchie(guerrier-clerc-poète) qui exclut le paysan et le remplace par le poète ne coïncide pas à la structure tripartite de la société féodale exposée par G. Duby [28]d’après les études indo-européennes de G. Dumézil. Voilà donc énoncé unmodèle de vie à la cour, correspondant à un idéal humaniste [29]et Ogier dansune nouvelle alliance féerie/courtoisie, remet aux siens, pour sceller sa loi,ung chappellet / De verd lierre en ce temps verdelet (p. f), marque de la féerie.

35 Nouvelle représentation du pouvoir, un banquet réunissant trente Roys,/ Estantz venus en triumphans arroys, / Pour faire hommaige au puissant bellicqueur (p. f) est l’occasion de discourir sur la meilleure manière de gouverner.Au banquet matrimonial du Livre I succède donc un banquet politique aucours duquel Morgue et Ogier se feront les défenseurs de l’amour et de lachrétienté. Les festivités s’ouvrent sur le modèle des entremets, décrivant lasomptuosité d’un banquet qui surpasse celui d’Antoine et de Cléopâtre [30]. Lavaisselle y est d’or, les cuisiniers divins s’affairent et tout particulièrementPatinus cuisinier vigilant dont le nom serait formé sur patina, sorte de platcreux, d’après E. Poulain-Gautret [31]. Il est possible de contester cette affirmation et de reconnaître dans ce personnage l’Italien Platina [32], auteur d’untraité d’art culinaire, ce qui expliquerait la comparaison qu’effectue Habertavec Taillevent [33]:

36

Les cuisiniers divins n’ont differé, / Que le convy ne fust tost preparé, / Etmesmement Patinus monstre bien, / Qu’il a choysi ce mestier pour tout bien, /Si qu’il ne fault ores de Taillevent / Compte tenir, aussi peu que de vent: / CarPatinus estoit si bien apris, / Que sur tout aultre il emportoit le pris (p. f)

37 Lors de ce banquet-propagande, imitant peut-être le célèbre banquet duFaisan [34]donné à Lille en1454, Ogier prend la parole et affirme:

38

Que gouverner nul ne doibt ung empire, /S’il n’est courtoys, & qui ne scache faire/ Œuvre, qui puisse à ses serfz satisfaire, / En leur portant faveur en general, /Et sans cesser leur estre liberal (p. fij)

39 À la réponse d’un des rois qui soutient Que sans fortune on ne peult parvenir / Aaulcun heur, ne riche devenir, va s’opposer le discours chrétien d’Ogier. Ce roi,reprend tout d’abord les arguments traditionnels de l’allégorie de Fortune [35],la disant estre sur une roue, ou des humains lubricque elle se joue et lui donnantle nom de déesse. Mais il va plus loin encore en opérant un amalgame féerie/Fortune et par extension Morgue/Fortune, d’autant qu’Ogier lui-mêmequalifiait la fée de noble déesse au Livre I. On remarque alors l’écart qui secreuse entre les deux livres, puisque l’union Morgue/Fortune qu’exprimaitle premier livre se voit désormais rejetée. Dans un nouveau paradoxe, le roide Faerie va alors opposer à ce grand thème de la pensée médiévale (on sesouvient de son importance dans La Mort le roi Artu), une conception purement chrétienne. Pour lui, Fortune n’est qu’une invention humaine, unefable poeticque / Que les Chrestiens ne veullent approuver, car Dieu seul décidede tout (on reconnaît la doctrine de saint Augustin):

40

C’est ascavoir que fortune n’est rien, / Sinon qu’ung dict fabuleux & terrien, /Et que les maulx qui jour en jour nous viennent / Non de fortune, ains du vraydieu proviennent (p. fiij)

41 Au discours d’Ogier succède celui de Morgue sur l’amour courtois, quisouligne la socialisation de la féerie. Pour Morgue, l’amour n’est pas undieu, elle rejette Cupidon considéré comme un poison: Amour (qu’on dictCupidon) dieu n’est point: / Mais ung aigreur, poison, une amertume (p. g), pourdéfendre l’idée d’un amour loyal et ferme: Amours est une chose / Ou de deuxcueurs l’alliance est enclose (p. g). Dans un nouveau paradoxe, son discoursqui présente une conception hautement courtoise de l’amour excluanttoute jalousie, s’oppose à l’image de la Morgue maléfique et luxurieuse quiséquestre les hommes dont elle s’éprend. On assiste alors à la négation deMorgue par elle-même:

42

Non pas amour ou gist desloyaulté: / Mais une amour pleine de feaulté, / Quandl’ung consent ce que l’aultre desire, / Et quand l’Amant supporte le martire / Deson amye, & quand l’Amye aussi / De son Amant supporte le soucy (p. g)

43 Aux questions soulevées par cette moralisation auprès des trente rois,Morgue qui est bien apprise et maîtrise l’art oratoire, répond avec facilité:Elle avoit ung si subtil langaige, / Qu’elle scavoit de bien parler l’usaige.

44 Mais bientôt Ogier commande tous arguments cesser et le spectacle reprendsous la forme de différents tableaux exécutés par les fées. Habert allie unenouvelle fois féerie et mythologie. Si l’ouverture revient à Orphée [36], le rôleprincipal incombe à la nymphe qui l’accompagne et qui n’est autre queMorgue déguisée:

45

La Orpheus ung bransle guay poulsa / Que bravement une Nymphe dansa, /Qu’ung Samys blanc couvroit de toute pars, / Ayant cheveulx jusqu’aux talonsespars, / Et en sa main une pomme d’or tient (p. g)

46 Dans cette scénographie, nous reconnaissons le vêtement porté par la féelors de ses noces, tandis que la pomme d’or rappelle le fruit tant enoblyqu’elle cueillait au jardin d’immortelle plaisance. Le second tableau présenteAmphion, accompagné de trois nymphes, c’est-à-dire les trois Grâces:

47

Puis Amphion inventeur de musicque, / Chante dix vers d’ung accord deificque,/ Et avec luy trois Nymphes il evocque, / Que doulcement à chanter il provocque(p. gij)

48 Durant le repas, on peut lire gravés sur le mur du palais, des rondeaux, desvirelais, des dizains, des balades et des épîtres composés jadis par Morguepour relater les exploits d’Ogier:

49

Prins le repas dans le royal palais, / Vous eussiez leu Rondeauls & Virelais, /Dixain, Balade, & aussi mainte Epistre / Que Morgue avoit jadis sceu faire,& tiltre / Pour collauder les dictz, armes & faictz / De son amy, accomplis &parfaictz, / Le tout au long dedans le mur gravé, / Sans que le temps eut l’escriptdepravé (p. gij)

50 Il faut voir dans cette liste, un nouvel éloge des différents genres poétiques,faisant écho à celui du premier livre. Cette valorisation de l’écrivain estopérée par Morgue elle-même qui devient une sorte de patronne des écrivains. Enfin, nous passons de la poésie au théâtre avec le troisième tableauqui met en scène six belles Fées qui jouent en Dialogue & Vers, / Le grand renomdes Chevaliers divers et célèbrent Charlemagne, Olivier, Roland, Lancelot.La mise en scène élaborée fonctionne par analogie objet/sujet, ainsi, L’unetenant en main un Olivier / Signe de paix deploroit Olivier, et l’aultre faisoit unglac / De crys & pleurs, pour Lancelot du lac. À la vue de ce spectacle, sans lacouronne d’oubli, le Danois eut jecté larmes d’œil, un des vers empruntés àla Déploration de Florimond Robertet et qui rappelle que certains passagesreprennent les vers marotiques [37].

51 Le lendemain, les rois ayant pris congé, Ogier qui n’avoit la pensée endormyeet fuit l’oisiveté, interroge Morgue pour connaître la localisation des tombesdes chevaliers errants, qu’il souhaite faire décorer:

52

Si te supply (O madame & maistresse) / De ce beau lieu me declarer l’adresse,/ Et mesmement ou furent inhumez / Les Chevaliers errants tant renommez:/ Car jour en jour en ce mon vouloir tumbe / De faire paindre, & decorer leurtumbe (p. giij)

53 Poursuivant l’énumération des arts pratiqués à la cour de la fée, on apprendque Praxiteles le graveur excellent et Apelles des painctres le plus saige y ont œuvré et que sur chaque tombe des escritures font recit des haultes adventures.L’emploi du topos de la visite des tombeaux se fait sur le modèle du cimetièred’Amours du Livre du Cuer[38]de René d’Anjou, qui laisse une large place audescriptif.

54 La plus belle tombe est celle du roi Arthur, faicte d’ung fin Cristal / Dorée entout du plus exquis metal, mais on trouve aussi celle de Mordred, de Tristan,d’Ysaïe le Triste, de Lancelot, de Gauvain, de Perceforest, de Giglan. Onobserve que tous ces personnages (bien connus du public habertien grâceà de nombreuses réimpressions) sont issus d’œuvres présentant des traitsféeriques. Nous sommes donc en présence des tombeaux de la féerie. Cesderniers, qui renvoient directement au cimetière futur du Chevalier de laCharrette[39]et à celui de la Douloureuse Garde du Lancelot en prose[40], mettent enévidence les limites du collage effectué par Habert. Car tous ces chevaliers,et Arthur en particulier, devraient être préservés de la mort en Avalon ety attendre le moment de regagner le monde des vivants. Habert met ainsi(comme l’auteur de la Mort Artu) brutalement un terme au mythe de l’espoirbreton.

55 Devant l’exaltation de tant de prouesse, Ogier adopte une attitude d’humilité face à ces tombeaux. Estimant n’avoir pas un tel honneur (Je suis lemoindre, helas, je le confesse), il compare les chevaliers errants aux chevaliersde France (Renaud, Roland, Olivier) et aux héros antiques (Hector, César,Camilus). Revenant sur l’idée (omniprésente dans notre texte) d’une lignéecontinue de héros prenant ses racines dans l’Antiquité, Ogier établit unehiérarchie qui donne la primauté aux chevaliers des légendes celtiques, etpar extension, aux romans de chevalerie de la fin du Moyen Âge.

56 Enfin, le palais devient une allégorie signifiant qu’il faut œuvrer pouratteindre l’immortalité, ce qui in fine justifie le travail de l’écrivain. Si bienqu’on ne peut aller plus loin dans l’analyse du texte, car l’évolution del’écriture conduit à l’éviction de l’héroïne féerique, au profit du héros virilde la geste épique.

57 Nous touchons ici aux limites fonctionnelles de la synthèse, la féeriedevient inutile. Certes, le dizain liminaire dédié par Habert à sa muse (laduch*esse de Touteville, comtesse de Saint-Paul [41]), annonçait la présenced’une morale philosophique à déchiffrer dans ses Visions: Du Philosophe estla leçon présente / Ou tu pourras prendre quelque plaisir / Lors que vouldra tristessete saisir. Cependant, les intentions de l’auteur sont révélées dès la conclusiondu Livre II: Monstrer qu’il faut par soing & cure, / En son vivant s’applicquer àquelque œuvre, / Qui apres mort nostre renom descoeuvre (p. hij).

58 Comment alors ne pas lire dans cette moralisation de l’écriture, la présencedu poète au sein de son œuvre? Un poète que la fiction mènera au paradis,comme les héros arthuriens, et qui se sert délibérément de l’artifice de laféerie pour faire l’éloge de son travail. Car dans ce monde d’Avalon qui nese distingue plus vraiment de la réalité courtoise du temps, les spectaclesdes fées n’ont pour autre dessein que de passer en revue les différentsgenres poétiques (rondeaux, virelais) et de faire la promotion des romansde chevalerie, en énumérant des listes de leurs héros les plus prestigieux.Cet objectif atteint, la féerie devenue superflue se voit chassée au début duLivre III, lorsque Ogier refuse la prédestination de son fils par les fées, dontil assimile l’art à celui (mauvais) de Médée et de Circé:

59

Devant Oger se presentent troys Fées, / D’ung bel atour elegamment coeffées, /Qui employer vouloient labeur & cure, / Pour de l’enfant destiner l’adventure: /Mais le Dannoys plein de toute vertu, / A leur vouloir inutile abbatu, / Leur remonstrant que Medée & Circé, / Ceste art maulvaise ont jadis exercé, / Et qu’ungseul dieu, de l’humaine nature / Pere & autheur, cognoist chose future. (p. i)

60 Désormais, les idéaux chrétiens triomphent [42]dans un monde féerique vidéde sa substance et le troisième livre renoue avec la geste épique, empruntéeà Guillaume d’Orange. Force est de constater que la synthèse tentée parHabert ne fonctionne pas. Les valeurs de la féerie et de la courtoisie restentantagonistes et la figure de Morgue laisse transparaître des aspects anti-courtois (rapt d’Ogier, soupçon de luxure). Certes, ces contradictions déréalisentl’œuvre, mais à travers le plaisir tangible de l’auteur, elles en font un jeu parl’assemblage de métaphores riches de sens.

  • [*]

    AUTEUR: Alexandra ho*rNEL, Centre d’Études Supérieures de la Renaissance,Tours, a.ho*rnel@wanadoo.fr.

  • [1]

    D’après L. Harf-Lancner, non seulement elles ne s’y mêlent pas, mais l’opposition distinctive est la circulation entre notre monde et l’Autre Monde féerique.Ce changement d’espace permet de distinguer le type morganien où le héros estentraîné dans l’Autre Monde, du type mélusinien où la fée tente en vain de s’intégrer au monde des mortels. Voir L. HARF-LANCNER, Les Fées au Moyen Âge. Morgane etMélusine. La naissance des fées, Paris, 1984, p.113-114, 203-204, 212-213.

  • [2]

    Nous entendons par courtoisie une certaine conception de la vie et del’amour: «noblesse du cœur, désintéressem*nt, libéralité, bonne éducation, habiletéà l’exercice de la chasse et de la guerre, agilité d’esprit pour les raffinements de laconversation et de la poésie, amour pour la dame dont l’amant fait sa suzeraine»(cf. M. ZINK, Littérature française du Moyen Âge, Paris, 1992, p.101-102).

  • [3]

    N. CAZAURAN observe déjà «ce nouveau rôle d’une Morgue bienveillante»dans son article Retour de faërie: Ogier le Danois deux cent ans après, MiscellaneaMediaevalia. Mélanges offerts à Philippe Ménard. Études réunies par J. C. FAUCON,A. LABBÉ, D. QUÉRUEL, t. 1, Paris, 1998, p.312-313.

  • [4]

    FRANCOIS HABERT, Livre des Visions d’Oger le Dannoys au royaulme de Fairie, Paris,Ponce Roffet, 1542(BnF, Res. Ye1597). Nous citons d’après cette édition. Voir lestravaux de V. Sasu et d’E. Poulain-Gautret: V. SASU, Sagesse et folie dans le Livre desVisions d’Oger le Dannoys au royaulme de Fairie, Héroïsme et démesure dans la littératurede la Renaissance. Les avatars de l’épopée, sous la dir. de D. ALEXANDRE, Saint-Étienne,1998, p.147-156; E. POULAIN-GAUTRET, La Tradition littéraire d’Ogier le Danois après leXIIIe siècle. Permanence et renouvellement du genre épique médiéval, Paris, 2005.

  • [5]

    Le texte-source est la mise en prose d’Ogier le Dannoys. Datée de la fin du XVesiècle, cette dernière reprend elle-même deux textes en vers du XIVe siècle (l’un endécasyllabes, vers1310et l’autre en alexandrins, vers1335). Si Habert reprend trèsprécisément plusieurs éléments de l’épisode d’Ogier en Faerie (la pierre d’Aimant,la rencontre de Morgue, la couronne d’oubli, l’anneau de jeunesse), il les remanie àsa guise, créant un schéma narratif qui lui est propre.

  • [6]

    MATTEO BOIARDO, Roland l’amoureux, éd. D. ALEXANDRE, Saint-Étienne, 2002.

  • [7]

    Le roman d’Éneas, éd. A. PETIT, Paris, 1997. Voir également C. CROIZY-NAQUET,Thèbes, Troie et Carthage: poétique de la ville dans le roman antique au XIIe siècle, Paris-Genève, 1994.

  • [8]

    Morgue a toujours été un personnage ambigu. Fée positive chez Chrétien deTroyes comme le montre C. FOULON dans La fée Morgue dans les romans de Chrétiende Troyes, Mélanges de langue et de littérature du Moyen Âge et de la Renaissance offerts àJean Frappier, t. 1, Genève, 1970, p.283-290, elle est négative dans Le roman de Merlin,(éd. G. PARIS et J. ULRICH, t. 1, Paris, 1886, p.166): Et sans faille elle fu bele demoiselejusques a celui terme que elle commencha apprendre des enchantements et des charroies;mais puis que li anemis fu dedens li mis, et elle fu aspiree et de luxure et de dyable, elle perdisi otreement sa biauté que trop devint laide, ne puis ne fu nus qui a bele le tenist, s’il nefu enchantés (d’après P. MERTENS-FONCK, Morgan, fée et déesse, Mélanges offerts à RitaLejeune professeur à l’Université de Liège, t. 2, Gembloux, 1969, p.1074).

  • [9]

    Lancelot, roman en prose du XIIIe siècle, éd. A. MICHA, Genève, 1978-1983, 9vol.

  • [10]

    Les amours courtoises sont multiples. Si dans le domaine d’oc, la fin’amorimplique l’adultère, dans le domaine d’oïl, l’amour courtois n’est pas incompatibleavec le mariage (cf. Érec et Énide, ainsi qu’Yvain et Laudine chez Chrétien de Troyes).Voir J. FRAPPIER, Vues sur les conceptions courtoises dans les littératures d’oc et d’oïlau XIIe siècle, Cahiers de Civilisation médiévale, t. 2, 1959, p.135-156.

  • [11]

    Depuis G. Doutrepont, la critique a observé une rationalisation de la féeriedans la fiction romanesque à «l’automne» du Moyen Âge et à la Renaissance. Cephénomène se manifeste par l’humanisation des fées, volontiers transformées ensimples dames, mais aussi par leur christianisation, leur moralisation, par le mélangedu merveilleux et du réel, par l’allégorisation Néanmoins, comme le souligne judicieusem*nt C. Ferlampin-Acher, cette rationalisation de la merveille n’entraîne pasforcément sa réduction, car ramenée à la mesure de la raison humaine, elle apparaîtbeaucoup plus fréquemment dans les récits. Voir G. DOUTREPONT, Les mises en prosedes épopées et des romans chevaleresques du XIVe au XVe siècle, Bruxelles, 1939et Genève,1969; C. FERLAMPIN-ACHER, Fées, bestes et luitons. Croyances et merveilles dans les romansfrançais en prose (XIIIe-XIVe siècles), Paris, 2002.

  • [12]

    Le royaume de la fée Morgue s’apparente à celui de la Sibylle: le héros ymène une vie de plaisirs. Voir ANTOINE DE LA SALE, Le Paradis de la Reine Sibylle, éd.F. DESONAY, Paris, 1930et trad. F. MORA-LEBRUN, Paris, 1983.

  • [13]

    Recueil des choses notables qui ont esté faites à Bayonne, à l’entreveuë du Roy Treschrestien Charles neuvieme de ce nom, & la Royne sa très honorée mère, avec la RoyneCatholique sa soeur, Paris, Vascozan, 1566(BnF, Res.4LB33178).

  • [14]

    Lorsque le roi Elinas rencontre Presine à la fontaine, cette dernière chantoitsi melodieusem*nt que oncques seraine, faee ne nimphe ne chanta tant doulcement (JEAND’ARRAS, Mélusine, éd. J. J. VINCENSINI, Paris, 2003, p.122).

  • [15]

    RENÉ D’ANJOU, Le Livre du Cuer d’Amours Espris, éd. S. WHARTON, Paris, 1980,p.169: […] ouquel vivier avoit ung couple de seraines privees et doubtees, lesquelles venoientaux gens lors que on les sifloit. […] Si leur cria Oyseuse et Bel Acueil et leur firent signalqu’elles voulsissent chanter. Mais ne tarda pas puis une patenostre que le masle se prist en tonbasset a dire une teneur, et puis lors la femelle en voix clere et doulce commença le dessus, delaquelle a oïr estoit tresplaisant chose et sembloit proprement leur voix a l’ermonie du chiel.

  • [16]

    La Mort le roi Artu, éd. J. FRAPPIER, Genève-Paris, 1964, p.55-66, 87-92.

  • [17]

    Ysaïe le Triste, héros d’une suite tardive du Tristan: Ysaïe le Triste, fils deTristan de Leonnois, Paris, Pierre Vidoue pour Galliot du Pré, 1522. Ed. critique parA. GIACCHETTI, Ysaÿe le Triste. Roman arthurien du Moyen Âge tardif, Rouen, 1989.

  • [18]

    Contes amoureux par Madame Jeanne Flore, éd. G. A. PÉROUSE, Lyon, 1980.

  • [19]

    On peut se demander si le cheval et le harnois sont faés: Oger monté sur ungcheval estoit, / Qui de bonté les aultres surmontoit, / Morgue par arme d’un harnoys qu’elleesleut / En son palais, ou paindre elle voulut, / Vous qui jouxtez contre moy prenez cueur, /Car vous serez vaincus par le vaincqueur (p. dij).

  • [20]

    RENAUD DE BEAUJEU, Le Bel Inconnu, éd. M. PERRET et I. WEIL, Paris, 2003, p.284,v. 4797-4801: Ensanble li amant se jurent: / Quant il furent ensanble et jurent, / Moltdocement andoi s’enbracent; / Les levres des bouces s’enlacent, / Li uns a l’autre son droitrent. Voir également les travaux de K. Fresco: RENAUT DE BÂGÉ, Le Bel Inconnu (LiBiaus Descouneüs; The Fair Unknown), éd. K. FRESCO, New York-Londres, 1992, et sabelle étude: The Lyric Elements in Li Biaus Descouneüs by Renaut de Bâgé, ChançonLegiere a Chanter: Essays on Old French Literature in Honor of Samuel N. Rosenberg, éd.K. FRESCO et W. PFEFFER, Birmingham Ala., 2007, p.209-222.

  • [21]

    ARIOSTE, Roland furieux, chant VII: «Le lierre ne serre pas plus étroitementl’arbre autour duquel il s’est enroulé, que les deux amants ne s’enlacent l’un l’autre,cueillant sur les lèvres la fleur suave de l’âme, que ne sauraient produire les plagesodorantes de l’Inde ou du pays de Saba.»

  • [22]

    GUILLAUME DE LORRIS et JEAN DE MEUN, Le Roman de la Rose, éd. A. STRUBEL, Paris,1992, p.66, 72, 830, v. 497-520, 631-642, 15805-15829.

  • [23]

    Habert réécrit, réinterprète sans cesse les motifs empruntés à son modèle.Ainsi, dans son Livre des Visions, Ogier rencontre directement Morgue à son arrivéeau château d’aimant et la pomme se présente comme une récompense pour le chevalier, au même titre que l’anneau de jeunesse. Dans le texte en prose, le cheval-faéPapillon accueillait Ogier qui devait d’abord tuer un dragon, arriver à un verger,manger une pomme empoisonnée, pour voir Morgue apparaître et le sauver enlui offrant l’anneau de jeunesse. Voir Ogier le Dannoys, roman en prose du XVe siècle,fac-similé de l’édition de Paris, A. Vérard, 1498, éd. K. TOGEBY, Munsksgaard, 1967.Pour des comparaisons précises avec l’avant-texte de Habert, voir POULAIN-GAUTRET,op. cit., p.273-275.

  • [24]

    L’île d’Avalon est mentionnée pour la première fois par Geoffroy deMonmouth dans son Historia regum Britanniae (vers1138). Une quinzaine d’annéesplus tard, dans la Vita Merlini, le même auteur évoque l’Île Fortunée ou Île des Pommes,où séjournent la fée Morgue et ses sœurs. Voir E. FARAL, L’île d’Avallon et la féeMorgane, Mélanges de linguistique et de littérature offerts à Alfred Jeanroy, Paris, 1928,p.243-253et P. WALTER, Les îles mythiques de l’autre monde dans La Navigation de labarque de Maelduin, texte irlandais du XIIe siècle, Insula. Despre izolare si limite în spatiulimaginar, éd. L. BOIA, A. OROVEANU et S. CORLAN-IOAN, Bucarest, 1999, p.44-45.

  • [25]

    Par référence au refrain de «L’invitation au voyage», extrait de «Spleen etIdéal», première partie des Fleurs du mal de Charles Baudelaire: «Là, tout n’estqu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté.»

  • [26]

    On entend par rationalisation l’équivalent transposé de ce que la critique médiéviste nomme «moralisation»; non plus l’imposition d’un sens (d’une idéologie,ou d’une morale) à un récit, mais un processus de désenchantement de l’objet.

  • [27]

    Histoire du preux et vaillant chevalier Meurvin, fils d’Oger le Dannois lequel parsa prouesse conquist Hierusalem, Babilone et plusieurs autres royaumes sur les infidelles,Paris, Nicolas Bonfons, vers1580(BnF, Res. Y2603)

  • [28]

    G. DUBY, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, 1978.

  • [29]

    Voir BALDASSARE CASTIGLIONE, Le Livre du courtisan, éd. A. PONS, Paris, 1991.

  • [30]

    La référence à l’antique marque la modernité.

  • [31]

    POULAIN-GAUTRET, op. cit., p.281.

  • [32]

    Bartolomeo Sacchi dit Battista Platina est l’auteur d’un traité intitulé Dehonesta voluptate et valetudine (1473), suite de réflexions sur la nourriture, l’hygiènealimentaire et la diététique ainsi que de recettes de cuisine de Maestro Martino.

  • [33]

    Guillaume Tirel, dit Taillevent est l’auteur du célèbre Viandier, livre de cuisinele plus diffusé à l’époque médiévale. Composé vers1380, le manuscrit comporte145recettes. Imprimé vers1490, le Viandier présente219recettes et plusieurs menuscomplets.

  • [34]

    Voir Les vœux du faisan, noblesse en fête, esprit de croisade: le manuscrit français11594de la Bibliothèque nationale de France, éd. M. T. CARON, Turnhout, 2003. On pourraconsulter également OLIVIER DE LA MARCHE, Mémoires, éd. H. BEAUNE et J. D’ARBAUMONT, t. 2, Paris, 1884, p.340-394(pour le récit des Vœux) et C. BEAUNE, Vœux et Pas,Splendeurs de la cour de Bourgogne, Récits et chroniques, sous la dir. de D. RÉGNIER-BOHLER,Paris, 1995, p.1131-1163.

  • [35]

    Voir La Fortune. Thèmes, représentations, discours, éd. Y. FOEHR-JANSSENS etE. MÉTRY, Genève, 2003.

  • [36]

    L’intervention de cette figure est fréquente à la Renaissance. Ainsi, dans unecontinuation de la Diane de Montemayor, on retrouvera Orphée dans la descriptiondu palais de l’enchanteresse Félicia: Ils estoient là tous escoutans le celebre Orpheus, dela mesme maniere que les Ciconiens lors qu’il chantoit en leur païs, quand Cyparissus futconverty en Cyprés & Atis en Pin. (Les sept livres de la Diane de George de Montemayor,traduits d’espagnol en françois par NICOLAS COLIN, Rheims, Jean de Foigny, 1578,première partie du livre IV, fol. 135r°).

  • [37]

    Je tiens tout particulièrement à remercier le Professeur C. THIRY qui, lors d’unecommunication privée, m’a fait l’honneur d’une brillante démonstration prouvantde façon définitive l’emprunt de Habert à Marot.

  • [38]

    RENÉ D’ANJOU, op. cit., p.141: Si passa oultre la porte en ce point sans plus arrester,et entra o les autres en ung semetiere grant et plantureux, remply de tombes haultes, richeset belles, faictes de albastre et de pourpre, aussi de marbre, de mestal et d’argent pur et d’or;tellement et par si faicte façon y en y avoit de riches que s’estoit ung estourdissem*nt de lesveoir.

  • [39]

    CHRÉTIEN DE TROYES, Le Chevalier de la Charrette, éd. C. MÉLA, Paris, 1992: Elcemetire après le mainne / Antre et voit les plus beles tombes / Qu’an poïst trover jusqu’àDonbes / Ne dela jusqu’a Panpelune, / Et s’avoit letres sor chascune / Qui les nons de cesdevisoient / Qui dedanz les tombes girroient […] (v. 1856-1862). La plus belle tombe ducimetière futur est destinée à Lancelot. Ce dernier qui parvient à en soulever la dalle,devient le libérateur des prisonniers de l’Autre Monde (le royaume de Gorre).

  • [40]

    Lancelot, éd. MICHA, VII, p.332: Chi gerra Lancelos del Lac, li fiex au roi Ban deBenoÿc.

  • [41]

    Marie de Bourbon (1539-1601), duch*esse d’Estouteville (ou Touteville) etcomtesse de Saint Paul. Fille de François Ier.

  • [42]

    Comme le souligne POULAIN-GAUTRET, op. cit., p.283-284: «[…] la féerie sedissout au profit de l’affirmation d’une orthodoxie chrétienne. À plusieurs reprises,il apparaît en effet clairement que la fonction d’Ogier devenu roi est de détruire les«normes» féeriques pour leur substituer la loi de Dieu».

Morgue, fée de cour ? La féerie courtoise dans le Livre des Visions d'Oger le Dannoys au royaulme de Fairie de François Habert (2024)
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